Jean-Eudes Bellanger a habité un an au hameau, et a contribué par sa "plume électronique" au quotidien du lieu. Beaucoup de très bons souvenirs...


CHRONIQUES DE LA BROUSSE EN CHANTIER par Jeb

En guise de note liminaire... 22/01/06

Quelqu'un, Maddie 30/01/06

Le nouvel arrivant 22/02/06

La face cachée de la Brousse 24/02/06

La vie - 1 13/03/06

La révolte 19/03/06

Vive l’apéritif ! Vive l’errance ! 01/04/06

United colors of la Brousse 08/04/06

Le chantier des chroniques de la Brousse
15/05/06

Un p’tit chapeau ?/04/06

Merci les oiseaux… ?/04/06

Anachronique ?/04/06

La vie –2 18/05/06

Nouveau Monde 1/06/06

Cuisine – hommage trop cuit au Lièvre de Mars 3/06/06

La nostalgie du Peuple Dressé 5/06/06


En guise de note liminaire... 22/01/06


" Dis, ce serait bien d'écrire des chroniques sur la Brousse.
- Des chroniques ?
- Ben ouais, y a déjà les photos et les dessins d'LN, ce serait chouette de raconter des histoires, les petits trucs qui se passent ici. Parler des gens qui passent, des spectacles...
- Ouais...les Chroniques du Hameau Noir, ha aha...
- Non! Les Chroniques de la Brousse enchantée..."

Avant d'être enchantée, la Brousse est en chantier.
Elle ne cesse jamais de l'être. Ni d'être enchantée d'ailleurs ; que le petit ange de la source, l'ombre du tilleul ou le crépuscule sur la falaise viennent me démentir s'il en est autrement. Et c'est heureux. Pourquoi? Parce que pour exister l'utopie doit se faire, et non pas être déjà faite. Alors ici on n'arrête jamais de rénover, d'embellir, de mettre de l'enduit, de faire le plancher, de construire la maison. C'est sans doute pour cela qu'il règne entre ces quelques baraques une humeur permanente de création, où trouvent refuge le labeur comme la paresse.
Voici donc un lieu où l'idée de reconstruction de la vie quotidienne a pris corps, avec des murs et des toits ; où l'envie de vivre autrement a pris racines, avec de la terre, du compost et de l'huile de coude. Et elle se dresse fièrement, cette idée, sur ses treize années d'existence comme un exemple des fruits de la détermination et de l'engagement.
Cette chronique n'a pas l'intention de commencer quoique ce soit, chers lecteurs, car le Hameau de la Brousse est déjà un bien bel arbre. Une bien belle demeure, dans laquelle sont nées, vivent et passent bien assez d'êtres et de choses pour qu'elle ait besoin d'être rafraîchie. Cette chronique est, si l'on peut dire, comme un bourgeon, une nouvelle pousse, une autre branche. Une nouvelle porte qu'on aura mise dans une cloison tombée joyeusement par les coups du sort. J'avais à peine plus de dix ans quand Michel et LN ont commencé de retaper ce rocher. Et il est grand le travail abattu, il est beau le résultat, il mérite qu'on y mette l'épaule, il promet qu'on peut y jouer un rôle. Ne serait-ce qu'un petit.
J'aspire seulement, parce que j'ai la chance de vivre au hameau, à raconter des histoires, ces moments du quotidien qui font ce qu'est la Brousse en secret : parler de ce village invisible et mouvant que ceux qui sont ici et ceux qui y passent construisent, jusque bien au delà des murs. Depuis trois mois que je suis ici j'ai vu passer un peu du monde, un peu de l'époque, un peu de ce mouchoir de poche dans lequel se tissent les histoires de chacun. On y passe et on en repart. Pour une fois je suis celui qui reste, et j'aimerais en profiter pour offrir une frêle demeure aux souvenirs.
Cette demeure est pour vous et vos visites, qui venez découvrir ou redécouvrir la Brousse. Le partage des histoires est aussi ce qui fait les fondations de nouveaux liens. Il est un endroit qui s'enracine dans le temps, où toutes les histoires se retrouvent, et où la mémoire de chacun peut aller puiser pour se sentir partout chez soi.

Premier coup de pioche, premier coup de plume, premier salut, et bienvenue à la Brousse, en chantier.


Quelqu'un, Maddie 30/01/06

En novembre est passée à la Brousse une jeune fille nommée Maddie. Une woofeuse, from Vermont USA. Le wwoof, c'est une association de fermes biologiques, mais on en reparlera. Maddie était woofeuse, donc. Et tricoteuse.
J'ai toujours été fasciné par le tricot. Quand j'étais gosse, ça faisait partie des icônes dominicales de la maison, comme le Stabat Mater de la matinée, ou le père qui coince devant Sport Dimanche... Ma mère, jusqu'à ce que j'atteigne l'âge de refuser gentiment, me tricotait des pulls, des gants, ou des cardigans pour petit garçon bien élevé. J'ai ensuite été convaincu, comme bon nombre d'adolescents, que le tricot, c'était ringard. J'ai fui les petits gilets et les moufles pour des Converses trouées et me suis mis à la guitare électrique, remisant ainsi dans une autre époque les matins lyriques de mon enfance.
Mais comme bon nombre d'adolescents, j'en suis revenu, et aujourd'hui je reconnais que Pergolese est un indispensable antidote à la morosité de fin de semaine. Et le tricot recommença de m'émerveiller lorsque mes tendances baba cool se révélèrent au grand jour. Désormais, je suis un bab pas cool, et je déteste les pulls trop larges, même si j'en porte - eh oui, on peut encore subir sa garde robe... - mais le tricot n'en reste pas moins à mes yeux l'un des gestes les plus étonnants de l'humanité.
Elle avait un talent fou, Maddie. Elle tricotait des bonnets, qand elle est arrivée. Parce que en France, it's sssoooo cold. Mais attention, des bonnets de bon goût, des chapeaux complexes avec des motifs à la signification mystérieuse, aux formes édifiantes, et de couleurs choisies. Je ne sais pas combien elle en a fait, mais chaque fois que je la voyais, au repas en général, elle tricotait un bonnet, elle agitait ses aiguilles dans des mouvements occultes, impénétrables, et que seul l'embrouillamini de laine semblait savoir comprendre. Plusieurs fois on l'a vue défaire son travail, sans ciller, et recommencer au début. Moi, ça me consternait. Je n'ai jamais voulu lui faire le coup de Pénélope, mais quand même. Elle avait des attitudes étranges. Elle tricotait en même temps que tout le reste : en coupant des pommes, en lisant, en discutant avec les autres woofeurs, en mettant du bois dans le poêle, en jouant aux dés. A la Brousse, il est une institution internationale qui s'appelle le yatsee. Quand Maddie gagnait, elle criait SOMEBODY LOVES ME !!!!! et levait brusquement ses aiguilles dans un geste qui bien sûr, éloignait ses voisins de table, effrayés. Et quand elle perdait elle s'exclamait, MERDI ! (Prononcez mewdi, c'est merde, avec l'accent du Vermont, probablement...) en tapant des poings sur la table. Puis elle reprenait son tricot. Avec l'accent du Vermont.
Un jour que je me balladais dans Angoulême, avec Maddie et les autres woofeuses, Vicky et Fanny, je tombe, dans une rue pietonne, sur un panneau d'interdiction de stationner sur lequel était peint merdi, d'une écriture appliquée. Bien entendu je m'en étonne, et j'appelle Maddie du Vermont. En voyant le panneau elle ouvre de grands yeux et de grands bras et s'écrie WOW !!! SOMEBODY LOVES ME !!!! Et s'en retourne à la laine multicolore qu'elle avait achetée pour se faire des gants pour les pieds.
Je suis resté pantois. Une fois de plus, la vie me démontrait qu'il est inutile de vouloir comprendre certaines choses.
Maddie voyagea beaucoup, puis s'en retourna à Montpellier USA. Elle continua le woof et continua le wool. Pour Maddie, entre le woof et le wool, c'est bonnet blanc et blanc bonnet.
PS: si vous arrivez à lire l'accent du Vermont, voici l'adresse du journal en ligne de Maddie : www.livejournal.com/users/maddieg


Le nouvel arrivant 22/02/06

Ces dernières semaines, il est passé un tas de monde à la Brousse. Il y a eu deux résidences de compagnies de théâtre, le Bocage et les Vernisseurs. Il y a eu le retour d'Anita du Maroc, et le passage de Madonna, son amie australienne. Il y a eu la sesshin Zen de l'association Do Shin. Beaucoup de choses à raconter. Beaucoup de changements. Les personnes arrivent en amenant leur décor, les uns avec un cabaret de croquettes, les autres simplement des doutes et des sauts de cabri ; les uns amènent tout un dojo de sagesse pendant que d'autres, avec leur bite et leur couteau, offrent des boîtes en bois qui renferment un des plus vieux spectacle du monde. A chaque fois le hameau tout entier s'habille différemment, module son rythme, agence ses humeurs et se fond dans les rencontres. On dirait que le soleil se lève chaque jour sur un nouveau village.
Et pourtant, toutes ces dernières semaines, bien que ça n'arrêtait pas d'arriver et de partir, il en manquait toujours un à l'appel. Un nouvel arrivant au hameau dont on a presque passé l'attente sous silence. Mais de fait, tout le monde l'attend. C'est toute la Brousse qui n'a fait que l'attendre secrètement ces dernières semaines. Ca en agace certains, des fois. Moi, j'avais cru comprendre qu'il ne devait pas arriver de sitôt. Mais en fait, il est en retard. On lui met son couvert tous les jours, mais il n'est pas là quand sonne la cloche. On ouvre la porte tout les matins en espérant l'apercevoir qui se chamaille avec Sly ou Perdita, mais les chiens dorment calmement, ou viennent au bonjour habituel. Quand on sort se balader on se prend chaque fois à espérer le croiser au détour d'un sentier, mais non. .
Alors bon, j'ai aussi cru comprendre qu'à chaque fois qu'il vient passer quelques semaines ici, il est vague sur la date de son arrivée. Il paraît que c'est un routard, qu'il se balade, d'une terre à l'autre, sans arrêt. Il a ses habitudes, ses chemins de prédilections. Et puis Michel et LN, Isabelle aussi, m'ont dit plusieurs fois que c'était un grand artiste, et que son passage faisait toujours l'honneur de la table et des convives. Pardi, à la Brousse on ne se lasse pas de voir passer des poètes un peu illuminés. Mais celui-ci est hors du commun, même qu'il est connu dans le monde entier. Un génie, un de ceux dont on a vu au moins une oeuvre quelque part, et dont on s'est sûrement émerveillé.
Depuis que je sais qu'il doit venir, moi aussi je ne fais que l'attendre.
Ha ! Sacré printemps, va...


La face cachée de la Brousse 24/02/06


Hameau de la Brousse, jeudi soir dernier, vers minuit, la veille du départ de Stephe pour la Roumanie.
Quatre durs à cuire sont toujours debout, LN, l'auteur, Stephe, et Aeros, nouvelle wwoofeuse.
Sur la table, les cartes, et le vin.
Le jeu, Espresso. Un jeu préhistorique. La Dordogne, c'est bien.
" Prêts? ... ESPRESSO!!!.. ... ... Aaaaah!!!!... ... ... Nooooon y a pas droit ! Hiiiii! (...) mff... ... mfff...Ouffpoutchicr...AAAAAAAHHHHH............ chpoum... chpoum... chpoum... chpoum (bruit des cartes sur la table:)...Hiuuiiiii ! LN ! TON CINQ TON CINQ !!!!!.... AAH... Chpoum... chpoum.... oui... oui!... OUIIII.... OOOUUUUIIIIIIINOOOOOOONNNCEST PAS POSSIBLE (...) AAAAAHHHHHH....chpoum...uf ... uf... (...)....oohhh j'peux rien faire....HA HA HA C'EST L'BORDEL....chpoum... chpoum... chpoum... AH NON ARREEEEEETE...oh...ah...... mirrrrd..... grr...grrrr... .... LN TU TRICHEEEUUUU AHHAAHAAAAAAHAA...STEPHE POUSSE TOI..(...) (...)..AH.... ... un deux un deux...OUI NON!!!! .... chpoum... chpoum... chpoum chpoumchpoumpoumchpoumc AAAAHHHHHHH!! FINITO!!!! OUI!!!! FINITOOOOOOO!!!!! (...)"
Le but du jeu, se débarasser de ses cartes en les mélangeant à celles des autres de façon rationnelle. Tout le monde joue ensemble. La Brousse, c'est un lieu collectif.
Les extraits cités plus haut et ci-après ne se veulent pas exhaustifs, compte tenu de la nature difficilement transcriptible des phénomènes observés. On essaiera donc d'imaginer que l'ensemble est dit par chacun des individus en présence, et ce de manière équitable, sans ordre de parole.
" - ... Dire qu'y a des gens qui jouent jamais !!!
- Oooh Ouais...
- Y préfèrent la télé...
- Oh la la...
- Ha ha ha !!!!
- Moi j'préfère jouer.
- Ouais moi aussi...
- Prêts ?... ESPRESSO!!!! "

LN et l'auteur, entre deux parties, frôlent, disent-ils, "l'insuffisance respiratoire". Cela ne les empêche pas de deviser, entre deux autres parties sur les vertus thérapeutiques du rire. Aeros elle même, malgré la barrière du langage, semble affectée par les sursauts de son diaphragme.
Commentaire :
" - Il faudrait nous enregistrer quand on joue à ce truc.
- Oh ouais!!!
- Ou en faire une annonce sur le répondeur!!
- Haha aha haha!!!
- " bonjour ARGLHAAAAAAAA!! vous êtes bien sur OUCH!!! le répondeur du hameau OUIIIIIIINONNNNNNNNNN!!! AAAAAAA!!! de la brousse...
-Hahah hahaha HAHa haha!!!
- "...veuillez laissez vos onomatopées, merci!"
- HA hahhaah HAHA!!!"

Je laisserai au lecteur le soin de réviser son regard, lors d'une de ses prochaines visites à la Brousse. On n'est jamais sûr de rien.
Ouga!


La vie - 1 13/03/06

C’est la vie, je suis comme je suis, c’est la vie, c’est comme ça que les jours passent et se remplissent. C’est la pleine lune, et l’hiver se fait des cheveux blancs. Cali est revenue sur quatre pattes, de mafé et de gingembre ce soir, et de Gainsbourg qui fait son reggae. Ali Farka Touré est mort. Milosevic aussi.
J’ai visité l’Anjou avec des inconnus, j’ai suivi la piste du futur marié. Lydia et Aeros s’en vont demain. Il faut que j’écrive une chronique sur le wwoof. Mon livre n’avance pas, mais il ne recule pas non plus… Il voyage lui aussi. Vous connaissez le vin de l’Aubance ?
Un type a creusé dans le tuffeau une salle sphérique Pi de 3,14 m de diamètre. L’acoustique est telle qu’on peut se chuchoter à soi-même des mots doux à l’oreille. C’est bien tout seul aussi, l’amour.
Arrête pas ton Char, Michel, « l’ordre du jour ou le désordre de la nuit ? », réunion au sommet de la colline. Mes bananes sont pourries. Il y a quatre nouveaux silos à compost dans le jardin. Amadou, il a la classe bavarde et c’est un grand cuisinier, Isabelle en a marre d’être enfermée, mais ça sent le printemps. LN suspend des éléphants. Il pleut toujours… il ne pleut plus. Il y a des punaises qui me réveillent la nuit, il y a des oiseaux heureux le matin, c’est la vie, ça résonne.
Je travaille dans un bureau et ça me dépasse. Les joies de l’informatique : un fichier inconnu n’a pas été trouvé. Je travaille dans un bureau et je peux aller débroussailler si j’ai les nerfs. Les ronces aussi ça me dépasse.
Je viens de voir quelques abeilles, quelques bourdons. On va bientôt mettre les plantes dehors. Bientôt il fera chaud.
L’autre jour un rouge-gorge est rentré chez moi. Les chiens m’attendent à la sortie de mon travail, pour faire une balade. Je m’écroule dans le pré. Le ciel est rayé. Je joue de la flûte pour aérer ma chambre.
J’ouvre la fenêtre pour écouter la musique.


La révolte 19/03/06

Il paraît qu’à la campagne on est loin de tout.
Alors c’est de loin qu’à la radio j’entends que les rues se remplissent, que les villes de France une nouvelle fois connaissent les foules et la colère, que le CPE a dressé le peuple contre lui, que ça chauffe, que c’est la chienlit.
Il paraît que quand on ne manifeste pas c’est parce qu’on ne se sent pas concerné. Et que la France est terre de révolution.
A la Brousse, il n’y a pas eu de manifestation sur la place. Pourtant, à la table de ce soir j’ai encore eu l’impression d’être au cœur de mon époque. LN, Michel, Bastian, Chris, Pitou, une fille, du vin, et ma révolte : les jeunes descendent dans la rue pour contester une loi, les étudiants, les forces vives, les mêmes que toujours, ils fédèrent, ils embrasent, ils réchauffent les désirs de vivre, ils allument un jeu oublié qui parle de changer le monde.
C’est galvaudé tout ça, hein…
Moi je veux être pour une fois cet effronté qui peut chanter pendant que Rome brûle, elle brûle tout le temps, dit le poète, alors merde, les jeunes, on va pas se tromper de cible hein, et se battre contre une loi alors qu’il faut se battre pour une vision du monde, la précarité n’a pas d’autre visage aujourd’hui que celui de la stabilité qui semble être le mot d’ordre, stabilité de la fin de la joie, de lendemain de fête, CDI de statu quo, et dans cinq ans on remet ça, et les mêmes qui sont dans la rue aujourd’hui diront à leurs gamins de se tenir à carreau.
Ca fait soupirer.
J’aime toujours croire que ce coup-ci, ce sera la bonne, comme aujourd’hui, ou quand les tours sont tombées, ou quand on tomba des nues entre les deux tours, ou quand à chaque fois que l’ordre semble basculer on dirait qu’enfn les humains vont s’arrêter et prendre le temps de repenser leur foyer. J’aime toujours croire que le jeu ne s’arrêtera plus, et que la jeunesse enfin matera les derniers avatars d’un vieux monde dont chacun sait la déroute.
Il y a certains jours des airs de flamenco qui portent en eux des soulèvements. Des vieux souvenirs de chants rouges. Déserter les villes, retrouver le sol, reprendre l’art aux mains de la culture, arracher la pauvreté aux mains de la misère, et libérer l'époque de son mal au ventre...
Pourquoi on se bat ? Pour préserver un mensonge, ou pour quelque chose de neuf ?
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons...


Vive l’apéritif ! Vive l’errance ! 01/04/06

« Monsieur le Président sident de la République publique,
Je tenais à vous assurer par la présente sente que les echos coco de votre précieuse allocution cution, ont été entendus tendus jusqu’ici qu’ici, à la brousse brousse. »
Et à part les echos qui résonnent dans la langue de bois de Marianne comme dans une souche creuse, on n’entend ici que l’hiver qui se termine, l’explosion printanière, les chants du poète.
« Soyez sûrs, camarades politiciens, que nous, nous ne voulons pas consommer plus. Inutile de vous fatiguer. Si la croissance vous donne à vous mal aux genoux, à ceux qui la demandent à grands cris, elle restera en travers de la gorge. »
Ici, on prend l’apéritif au soleil en se demandant s’il y a seulement une chance pour que la petite raison républicaine étriquée laisse un jour sa place à une raisonnable prise de conscience globale… Mais bon, vous savez bien, nous les jeunes, ça nous passera.
C’est normal après tout, dans un monde inversé, que tout aille à l’envers. Que les soulèvements ne soulèvent pas grand chose d’autre que des errements et des bavardages…
Je refuse de partager les inquiétudes qui, en ce moment, sont disent-ils celles de la jeunesse. Ce ne sont pas les miennes. Ni celles de ceux qui souffrent réellement de la précarité du monde. Les porte-paroles font de la politique, parce qu’il paraît qu’aujourd’hui, la révolution, c’est révolu. Alors on est né le cul dans la soie, et il faudrait en plus exiger broderies et dentelles sur nos draps. Demander plus qu’il n’en faut, et à côté des vrais enjeux, voilà ce qui finit toujours par étouffer le jeu de la révolte.
Plus d’air de flamenco. Plus de fièvre. La même rengaine économique.
Proposition : désertez, camarades.
Car comme dirait l’autre, nous avons tout à gagner là où tout est agencé pour nous perdre.
Vive l’apéritif. Vive l’errance.


United colors of la Brousse 08/04/06

Fiche technique du navire.
Nom : La Brousse
Description : lieu de vie collective et spontanée, dont l’organisation est spontanée et collective.
Antennes actives : Association Ciel ouvert, locataire participatif d’action artistique et culturelle avec un petit cul. Association Près de la source, locataires participatives d’action d’agrisculpture potagère avec un grand pré.
Capitaines : Michel et LN, créateurs en jours pairs, réacteurs en jours impairs.
Equipage : Simone, Isabelle, Jean-Eudes, Anne, Marie, matelots non qualifiés en contrat de bel avenir. A durée à déterminer.
Passagers : Phi Lee, David, Alimatou, Brigitte, couleurs complémentaires.
Signes particuliers : à l’entrée du navire s’arrête la protection de l’armée américaine.
Pavillon : United Colors of la Brousse, société multinationale libre, succursale du WWOOF et des praticiens de l’utopie.
Productions : pissenlit, courges géantes, gâteaux francophones, spectacles, sculpture sur paysage, labeur volontaire sans frontières, jeux préhistoriques, rencontres polychromes, discussions et heures indues, répertoire des nouveaux fans de Johnny Cash, paperasses, archivages et déménagements, coups de blues et coups de marteau, amitiés en tout genres, et stages de sagesse infinie du compost.
Soutenu par : le Centre Universel de l’Huile de Coude, le Syndicat Trangénérationnel de la Volonté de Vivre, et l’Organe conscient du Parti Imaginaire.
Participe de la réhabilitation de l’écoute de France Culture dans la ville de Soyaux.


Le chantier des chroniques de la Brousse 15/05/06

Cette chronique se veut une sorte d’introduction aux quelques textes que vous aurez à lire à la suite de celle-ci, que je suis parvenu à réunir au prix de fouilles archéologico-informatiques que je viens par la présente révéler au grand jour. Personne ici n’en a eu vent. Ils ont juste remarqué que la lumière restait tardivement visible dans la chambre bleue, et se disaient pour eux-mêmes, tiens, Jean-Eudes est peut-être en train d’écrire une chronique.
Que nenni.
Des chroniques, j’en ai écrit plein depuis la dernière en date du 8 avril, susnommée United colors of la Brousse – remerciez Isabelle pour le titre. Oui, plein. Peut-être des dizaines, si j’en crois mes découvertes. Enfin presque. Car il est terrible de devoir avouer qu’à force de dire, « je vous raconterai tout ça dans une prochaine chronique », je n’ai écrit que des prochaines.
Les prochaines ont ce désastreux caractère de débuts abandonnés que la littérature n’accepte que dans les journaux posthumes. Prenez Kafka, par exemple. Il a su, avec brio, se gardez le meilleur pour la fin, mourir dans la misère, mais, dans un sursaut de panache, divulguer au monde son formidable journal, qui n’est fait, vous l’aurez compris, que de « prochains » romans.
Comme je n’ai pas l’intention de passer l’arme à gauche avant quelque révolution, c’est à dire avant longtemps, je me suis efforcé de dénicher dans le désordre de mon ordinateur tout ce que j’avais pu pondre de prochaines chroniques depuis le début de cet exercice. Et de vous les servir désormais, en guise de coulisses, du chantier des chroniques de la Brousse.
Par le menu, donc, nous aurons une savoureuse démonstration des difficultés locales à se tenir à jour, et l’humeur générale de notre village mouvementé, depuis les premières heures printanières.
N’allez pas croire ami lecteur, en vous fiant à la douteuse chronologie de ces pages, que je sois paresseux. Bien au contraire, c’est avec patience et perséverance que je travaillais à la reconquête de ces écrits, et aujourd’hui, sachez le bien, je me repose.


Un p’tit chapeau ?/04/06

Il était une fois, dans un temps pas si lointain que ça, et dans une contrée pas si reculée que ça, un vieux village qui avait un vieux chef. Le vieux chef de ce village avait de vieilles habitudes. Lorsqu’arrivait le printemps, il décidait toujours de faire de grands travaux, pour attirer les badauds de passage et redorer ses blasons – car ce que l’histoire ne dit pas, c’est que des blasons, ce vieux village en avait d’innombrables, et que nombreuses étaient les contrées plus reculées encore qui jalousaient sa renommée et l’énergie sans pareille de ses habitants…
Cette fois-là, lorsqu’arriva le printemps, le vieux chef était très triste, parce que son chapeau favori était hors d’usage. C’était son chapeau des grands jours, qu’un chapelier, dont on disait de l’autre côté de la forêt qu’il était fou, lui avait cousu sur mesure. Chaque fois que le vieux chef portait son beau chapeau, des foules de badauds de passage arrivaient des quatre directions pour l’admirer. Mais cette fois-là, il ne pouvait plus le mettre, car il était usé. On avait alors fait venir le chapelier, par dessus les rumeurs qui couraient sur lui, pour le remettre à neuf ; mais malgré ses soins l’artisan assura le vieux chef que plus jamais son chapeau ne lui attirerait autant de gloire.
Le vieux chef, très attristé, ne parla pas de grands travaux, et s’enferma dans ses appartements. Inquiets, les habitants se mirent en quête d’une solution.
Un matin, un drôle de badaud passa au village. Il prétendait venir de très loin, de là où le fleuve se jette dans l’océan, et que d’aussi loin il avait entendu la complainte du vieux chef. Il avait le regard malin, et un petit sourire qui en disait long.
« J’ai pour lui un chapeau ! cria-t-il à l’assemblée réunie pour l’observer et lui jeter des regards incrédules, assemblée qui, du même coup, sursauta d’un seul bloc.
« Un p’tit chapeau ? Ooooooohhh…. »
« Oui, messires et mesdames, un chapeau dont il tirera nouvelle gloire ! » continua le badaud fier de lui.
C’est alors que du fond de sa carriole il tira un bout de tissu. Un minuscule bout de tissu d’où dépassaient des morceaux de cuir et de ferraille. La foule allait s’indigner, et tourner les talons pour s’armer de leurs faux et bâtons, mais le badaud l’avait prévu et s’écria :
« Patience ! Ce chapiteau rapiécé que vous voyez, est un chapeau magique… Ceux d’entre vous qui sauront lui redonner sa forme gagneront l’estime du vieux chef ! »
Le vieux chef s’étonna, dans les jours qui suivirent, de voir son village très agité. Il arrivait des gens du monde entier qu’on avait fait venir spécialement pour redonner forme au petit chapeau mystérieux. On sélectionnait des prétendants, on préparait les poulains, on désignait les villageois les plus solides.
Comme il ne comprenait pas, le vieux chef décida de sortir de son atelier pour en savoir plus. Il se faufila dans la foule enflée d’enthousiasme, de préparatifs et de bruyantes spéculations. Il entendit qu’on parlait d’un p’tit chapeau magique, d’honneurs et de nouvelle gloire, ce qui lui mit la puce à l’oreille. C’est alors que le drôle de badaud harangua la foule. Il dit :

De mon chapeau tu tireras bien des choses,
Car tout chapeau doit être tiré,
Et si tu parviens à dire où je me pose,
Mon chapeau, je te le tirerai.

Le vieux chef comprit immédiatement. Il connaissait bien les histoires. Et même si dans les histoires ce genre de prose n’apporte aucune gloire, sinon de gros problèmes, il reprit aussitôt le contrôle de la situation.
« Camarades ! Ce chapeau doit être posé quelque part et vous devez le tirer ! »
Le chapeau fut posé savamment, et tiré avec vigueur. Les hommes venu du monde entier ne furent pas de trop pour redonner forme à ce mystérieux bout de tissu, qui au prix d’efforts incroyables que d’autres histoires relatent, devint de plus en plus grand, et de plus en plus beau. La magie du badaud avait fait de lui le héros du village. Pendant que l’œuvre était en marche, on lui offrait du vin, des vivres et des compliments.
Cependant, le vieux chef, à mesure que l’on tirait, était de moins en moins joyeux. Il alla voir le badaud.
« Qu’est ce que tout cela ? Je ne vois plus de chapeau. Cette chose est beaucoup trop grande. Jamais je ne pourrais me la mettre sur la tête.
- C’est que ce n’est pas qu’un p’tit chapeau, vieux chef, répondit l’étranger.
- Ah bon ? mais alors quoi ?
- C’est un chapiteau. »
Le vieux chef ouvrit la bouche, se retourna et vit alors que le travail avait pris fin. Au milieu de son jardin trônait une immense chapiteau rouge et jaune, parfaitement posé, d’où les hommes tiraient, en riant, des foules et des foules de badauds de passage.


Merci les oiseaux… ?/04/06

Le travail est un peu comme la nourriture. Il possède une saveur qu’il faut savoir mesurer. Manger trop de courgettes, ça ne tue pas la courgette, mais ça peut devenir lassant. A moins, comme ici, d’avoir des mains cuisinières d’une grande habileté, capables de vous faire avaler des courgettes à tous les repas pendant une saison entière, sans que vous ne vous en rendiez compte. Elles savent accomoder les restes, et sont incollables en condiments.
Le travail, ici, c’est un peu ça. Bosser tout le temps, c’est une chose, encore faut-il savoir varier les plaisirs.
A la Brousse, ce qu’il y a de bien, vous savez, c’est qu’on ne fait jamais vraiment la même chose d’un jour sur l’autre. On bosse tout le temps - certains plus que d’autres, d’ailleurs, mais je ne vise personne – et pourtant on ne se lasse jamais. C’est formidable, parfois je me demande comment on fait, et comment ils ont fait depuis treize ans pour tenir le coup.
Le secret, je crois, ce sont les oiseaux. Alors oui, les oiseaux, les innombrables passereaux qui piaillent à longueur de journée et de nuit, oui ceux là on en a tant que c’en est indécent. Mais pas seulement. Je pensais aussi à tous ces drôles de piafs qui déboulent régulièrement ici, soit d’un autre pays, soit d’une roulotte. Récemment, pas très longtemps après les grues, un vol de migrateurs nous a fait le plaisir de se poser chez nous. Et pas de grippe entre nous, s’il vous plaît, juste de la bonne musique. On a eu une équipe de wwoofeurs du tonnerre, et si vous ne me croyez pas, demandez à Isabelle. Depuis qu’ils sont repartis, elle est en retard d’au moins trois patates. Mais je vous raconterai tout ça dans une prochaine chronique.
Ces oiseaux-là, ils font plaisir à la drôle de bête qui s’agite tout le temps ici. La Brousse, c’est un énorme bestiau qu’il faut toujours ponponner. Alors pour nous donner du cœur à l’ouvrage, on a des spectacles. C’est un peu le condiment de la courgette quotidienne. El Kerfi Marcel, c’était du piment. Eux aussi, ils vont de branche en branche, avec leur roulotte. Mon morceau préféré, c’est Merci les oiseaux…


Anachronique ?/04/06

Vu dans Telerama il y a peu, sous la plume d’un lecteur avisé : « Louis XI a proclamé : en politique, il faut toujours donner ce que l’on n’a pas, et promettre ce que l'on ne peut pas donner. On ne change pas une équipe qui gagne. »
Je voulais juste lui faire echo cho cho…


La vie –2 18/05/06

Je me lève tous les matins à sept heures / impossible / mais si mais si / aujourd’hui, débroussailler le chemin des cabanes / avant hier, envoyer le programme à Sortir / Michel, téléphone ! / pas le temps / t’as une minute, s’il te plaît ? / je vais étendre le linge / demain jour racine je plante les patates / ils viennent quand en résidence les œufs de Pâques ? / y a pas que d’l’art putain…/ ah non ! on parle pas politique, hein ! / Jean-Eudes, tu nous fais des crêpes ce soir ? / j’peux manger avec vous ?/ je me lève tous les matins à sept heures / ah bon ? mais quand t’arrive on dirait toujours que tu sors du lit / allo bonjour ciel ouvert à l’appareil / allo bonjour près de la source à l ’appareil / montons l’asso pas loin non plus / près de la brousse / ha aha ha ah / aujourd’hui il pleut, demain il fera chaud, je plante les patates / vous faites quoi ? Du travail de terrain / il paraît que dehors il y a un coup d’Etat / j’adore Jean-Louis Eyzine / moi, j’adore les puzzles / où est le Canada ? il mange de la viande à Toulouse / voyage inespéré, nous passons les saints de glace en Mongolie / Chère yourte, ne soyez pas si bulgare…/ cachou a eu des petits, et ça a l’air de la rendre triste / dis, LN, je crois que Sly va bientôt se retrouver tout nu / aujourd’hui, appeler le plombier, le menuisier, le couvreur, le charpentier, le maçon, le standardiste, l’administrateur de Ciel ouvert, le comptable, le cuisinier, le jardinier, la photocopieuse, l’agence de voyage, faire un gâteau, acheter de la limonade, et dire à LN et Michel qu’ils peuvent aller se reposer / pendant ce temps on ira planter les patates / mais y en a plus de patates ! / alors on fait quoi ? la fête ? / on est pas sérieux jusqu’en mars, après ça se corse / dis donc je voulais te parler de tes chroniques, là,… t’es pas à jour dis moi / demain tondre la pelouse, et coller des affiches / c’est quoi ce spectacle ? c’est un acteur qui l’a perdu.
Enfin. Je vous raconterai tout ça dans une prochaine chronique.
Eh oui, c’est la vie.




Nouveau Monde 1/06/06

Juste une petite parenthèse, une fenêtre ouverte.
Pour ceux que cela surprendrait, je signale que je suis colombien de cœur et de souffle. Et en guise d’applaudissement désemparé à la réelection, le 28 mai, du Presidente Alvaro Uribe, fieffé vassal de Bush, et en souvenir d’un Nouveau Monde qui le reste, voici.

Conférence du Cacique Guaicaipuro Cuauhtémoc, descendant du dernier empereur Aztèque, devant la réunion des chefs d’Etat de l’Union Européenne, à l’occasion du 500e anniversaire de la Découverte des Amériques. Cité dans la Revista Numero de l’été 2002, Colombie. Traduction personnelle.

« Ici donc, moi, Guaicaipuro Cuauhtémoc, je suis venu rencontrer ceux qui célèbrent la rencontre. Ici donc, moi, descendant de ceux qui peuplèrent l’Amérique il y a 40.000 ans, je suis venu rencontrer ceux qui l’ont découvert il y a seulement cinq cents ans. Ici donc, nous nous rencontrons tous. Nous savons ce que nous sommes, et c’est suffisant. Nous n’aurons jamais autre chose.

Le frère douanier européen me demande papier écrit avec visa pour pouvoir découvrir ceux qui m’ont découvert.
Le frère usurier européen me demande le paiement d’une dette contractée par Judas, à qui je n’ai jamais autorisé qu’on me vende.
Le frère législateur européen m’explique que toute dette se paie avec des intérêts, même si c’est en vendant des êtres humains et des pays entiers sans leur consentement.
Je les découvre. Je peux aussi réclamer des paiements, et je peux aussi réclamer des intérêts. Je constate, dans les Archives des Indes, papier sur papier, reçu sur reçu, et signature sur signature, que seulement entre l’an 1503 et l’an 1660, arrivèrent à San Lucas de Barrameda 185.000 kilos d’or, et 16 millions de kilos d’argent, provenant des Amériques.
Mise à sac ? Je ne le croirais pas moi-même ! Parce que ce serait penser que les frères chrétiens manquèrent à leur septième commandement.
Exploitation ? Garde-moi, Tanantzin, de m’imaginer que les européens, comme Caïn, tuent, et après nient le sang de leur frère !
Génocide ? Ce serait donner crédit à ces calomnieurs, comme Bartolomé de Las Casas, qui qualifient la rencontre de « destruction des Indes », ou à des outrageux comme Arturo Uslar Pietri, qui affirment que le jaillissement du capitalisme et de l’actuelle civilisation européenne se doit à l’inondation de métaux précieux… Non ! Ces 185.000 kilos d’or et 16 millions de kilos d’argent doivent être considérés comme le premier de beaucoup d’autres prêts admirables de l’Amérique, destinés au développement de l’Europe. Le contraire serait présumer de crimes de guerre, ce qui donnerait droit, non seulement d’exiger la dévolution immédiate des biens, mais aussi l’indémnisation pour dommages et préjudices.
Moi, Guaicaipuro Cuauhtémoc, je préfère penser à la moins offensive de ces hypothèses. Une exportation si fabuleuse de capitaux n’a rien été de plus que le début d’un plan « Marshalltezuma (*) », pour garantir la reconstruction de la barbare Europe, ruinée par ses guerres déplorables contre les sages musulmans, créateurs de l’algèbre, du bain quotidien, et d’autres grandes avancées supérieures de la civilisation.
C’est pourquoi, en célébration du 500e anniversaire de l’Emprunt, on pourrait demander : les frères européens ont-ils fait un usage rationnel, responsable, ou pour le moins productif des fonds si généreusement avancés par le Fonds Monétaire Indoaméricain ? Nous déplorons de devoir dire que non.
Sur le plan stratégique, ils l’ont dilapidé en batailles de Lepanto, en armes invincibles, en troisièmes Reichs et autres formes d’extermination mutuelle, sans autre destin que de terminer occupés par les troupes gringas de l’OTAN, comme à Panama, mais sans le canal.
Sur le plan financier, ils ont été incapables, après 500 ans de séjour, autant de régler le capital et ses intérêts que de s’indépendantiser des rentes liquides, des matières premières et de l’énergie qu’à bon prix lui exporte et lui pourvoit tout le Tiers Monde.
Ce déplorable tableau corrobore l’affirmation de Milton Friedunau selon laquelle une économie subventionnée ne peut jamais fonctionner ; et cela nous oblige à réclamer aux frères européens, et ce pour leur propre bien, le paiement du capital et de ses intérêts que nous avons généreusement, tardé tant de siècles à faire payer.
En disant cela, précisons que nous ne nous rabaisserons pas à réclamer aux frères européens les vils et sanguinaires taux de 20 à 30% d’intérêt, qu’en certaines occasions les frères européens font payer aux peuples du Tiers Monde. Nous nous contenterons d’exiger la dévolution des métaux précieux avancés, plus un prodigue intérêt fixe de 10% accumulé sur les seules 300 dernières années. Nous leur faisons grâce de 200 ans.
Sur cette base, et en appliquant la formule européenne de l’intérêt composé, nous informons donc les découvreurs qu’ils nous doivent, comme premier paiement de leur dette, une masse de 487.147 billions de kilos d’or, et 42 milliards de kilos d’argent. C’est à dire des masses qui équivalent aujourd’hui à 245.345 millions de fois la production mondiale annuelle d’or, et à 3.164 billions de fois la production mondiale annuelle d’argent. Au total cela correspond aussi à 70% de l’écorce terrestre, ou encore, à 0,7% de toute la planète.
Très lourds sont ces tas d’or et d’argent.
Combien pèseraient-ils, calculés en sang versé ?
Ajoutons que l’Europe, en un demi-millénaire, n’a pas pu générer suffisemment de richesses pour régler ce modique intérêt. On doit alors admettre le total échec financier, ou du moins l’irrationnalité démentielle, des présupposés capitalistes.
De telles questions métaphysiques, depuis longtemps, n’inquiètent plus les indoaméricains. Mais oui, nous exigeons la ratification d’une lettre d’intention qui discipline les peuples débiteurs du Vieux Continent, et les oblige à remplir son compromis moyennant une rapide privatisation ou reconversion de l’Europe, qui leur permette de nous remettre l’entière, comme premier paiement de la dette historique.
(* : Moctezuma est le nom de la plus haute divinité aztèque, et était aussi le nom donné à leur dernier empire, le Royaume de Moctezuma. Ainsi Cortès s’est-il emparé du trésor de Moctezuma… Tout le monde connaît le plan Marshall, non ?…)

Quand le cacique Guaicaipuro Cuauhtémoc a donné sa conférence devant les chefs d’Etats européens, il ne savait pas qu’il exposait une thèse de droit international pour déterminer une véritable dette extérieure. Désormais, il manque seulement qu’un gouvernement sudaméricain aie suffisemment de valeur pour remettre la facture devant les tribunaux internationaux compétents. »

A su salud, companeros. Yo los recuerdo.


Cuisine – hommage trop cuit au Lièvre de Mars 3/06/06

Ce soir, pour la première fois depuis longtemps, j’ai mangé des haricots verts. Avec du thon, des oignons, des olives et un peu de tomate. Avec ça, me direz-vous, on fait peut-être une bonne plâtrée de célibataire, mais certainement pas une chronique. Voyez-vous ça. Et si j’ajoutais que ce soir, pour la première fois depuis longtemps, j’ai mangé des haricots verts EN BOITE. Là, oui, on s’approche peut-être d’un moment littéraire intéressant.
C’est en tout cas la réflexion que je me suit faite, en m’acharnant sur ma boîte de conserve Carrefour avec un ouvre-boîte d’un autre temps, qui, s’il est nommé et pensé pour l’usage, ne fait preuve d’efficacité que pour essayer avec zèle de gâcher le dîner. Ne croyez donc pas les us et coutumes qui ont fait de ces inventions l’orgueil des Trente Glorieuses. En frottant du métal sur du métal, on fait juste des objets contondants excessivement dangereux. Alors l’idée qu’on persiste à mettre de la nourriture dans ces machins n’en finit pas de me consterner. Parfois le monde s’évertue à être incongru, et on n’y peut pas grand chose.
Je me suis donc rappelé, pendant ces instants de solitude que sans concession mon garde-manger me pourvoyait, d’un autre moment littéraire intéressant, de ceux dont, en tant qu’écrivain, j’aurais voulu être l’auteur. Je me suis rappelé cette épiphanie de LLdM ( lisez le Lièvre de Mars, et à l’occasion, allez voir son Terrier sur le web…) qui décrivait, désespéré, son salé en lentilles (en boîte, sans doute) en train d’agoniser par dessus la chaleur stupide de plaques électriques. Comme l’ouvre-boîte fait la gloire de l’ère industrielle, les plaques électriques sont ce qui permet aux propriétaires, dans les villes universitaires, de dire que les cuisines de leurs studios sont « équipées ». Entendons-nous bien : ils se sont fait une règle de considérer cela comme un critère de choix pour les jeunes étudiants qui, étourdis par leur nouvelle liberté bachelière, ne se rendent pas compte, lors de la signature du bail, qu’à cause de ces plaques électriques ils passeront d’innombrables mauvaises soirées, ne mangeront pas grand chose d’autre que du pain, du fromage et les sandwichs du libanais du coin, et rateront probablement leur DEUG. Je sais de quoi je parle. Et notre Lièvre l’avait si bien dit : « il est clair que si je tenait l’ordure, le nazi des papilles, l’immonde culinarophobe qui m’a pondu cette merde de plaque électrique, putain ! je me te lui foutrait sa sale gueule de vérole amerloque – parce qu’un type comme ça ne peut être qu’américain, ou alors c’est à douter de tout – sur son infamie, invention demeurée, et je te lui sussurerais dans son petit conduit de bête bornée, tu sens là, hein, tu sens, c’est le réduit, eh oui ! le réduit ! et pourtant ça colle ! »
Hommage trop cuit, donc, car depuis longtemps l’univers inepte des cuisines étudiantes est devenu pour moi un souvenir sans saveur, pour le coup. Je n’y perd pas mes heures de nostalgie. Je comprends simplement, ce soir, avec mes haricots verts, pourquoi la cuisine de la Brousse ne connaît jamais une boîte de conserve. Ah, vous pouvez chercher, il n’y en a pas. Je crois que j’avais oublié à quel point ces objets trop humains sont ingrats et inaptes aux allégresses culinaires. Et ici, croyez-moi, c’est l’allégresse culinaire qu’on oublie parfois de saluer. Mesdames, merci.



La nostalgie du Peuple Dressé 5/06/06

Il suffit sûrement d’une caresse pour écouter le monde.
Un homme a retrouvé le chant des arbres. Il en a fait des sculptures qu’il a appelé les Arbrassons. Et il est venu avec magnifier la Brousse. A force de chantiers on ne sait plus très bien quelle mélodie entonne chaque jour ce paysage, avec ses falaises, cette vallée et son ruisseau qui patiemment emporte le temps, les jardins et leur lente croissance qui sourd, la terre ondulante qui mène d’un point de vue à un autre… Paysage.
Nous autres civilisés savons bien ce qu’est un paysage, pas vrai. D’ailleurs, si l’on est civilisé, c’est bien parce que nous savons bien ce qu’est à peu près tout, pas vrai ?
Le chant des arbres. Une histoire, Wakan Tanka, le Grand Mystère, la mémoire du peuple dressé, un autre temps, on appelle ça le mythe. N’a-t-il pas raison, ce mutin grand humain au regard slave et à la parole pleine d’humus, de dire que ça ne fait pas rire les enfants ? Que ça ne fait rire que les adultes ? Pour eux, ce n’est sans doute qu’un spectacle. Une curiosité. Un truc en dehors de soi. Et pour les arbres ?
Cet homme, qui travaille à les élaguer pour le bien de l’urbanisme et des rigueurs civilisées, justement, lui, retrouve leur chant, leur geste, leur geste boisée, leur mémoire qui sonne comme d’innocents sifflets ; alors pour les arbres, qu’est-ce que ce moment où des humains sont là pour les écouter ? Eux ne se soucient pas de spectacle. Ils ne se soucient pas de satisfaire notre obstination à comprendre. Ils parlent, c’est tout. Et on dirait, dans l’air, une humeur, une substance, oui, ils sont sûrs que l’on va les comprendre.
Le paysage, la terre et ses arbres savent qu’il suffit d’une caresse sur soi pour les écouter. Ils y invitent sans cesse, mais quoi, nous autres civilisés avons bien d’autres choses à faire.
Ce qu’il y a de bien dans notre époque, c’est que le mystère n’a jamais été aussi proche de nous. A force de vouloir le réduire à néant, il a fini par nous envahir. Il s’est confondu avec nous. Nous ne savons plus ce que nous sommes. C’est pour ça que le chant des arbres, il y en a que ça rend hystériques, coléreux. Qu’y a-t-il de plus insupportable que d’être étranger à soi-même…
On devrait sculpter, de nouveau, comme dans les mythes, les humains, leurs faire des lames vibrantes, retrouver leur nombre d’or, caresser ces encoches pour faire jaillir leur mémoire, cet endroit précis de leur corps où sans l’écorce se met à résonner la candide et chaotique harmonie, la mélodie parfaite sans parole ni rime, « celle qui scande sans cesse l’univers » ; ils devraient deviner et polir leurs courbes, partir chacun à la recherche de leur forme enfouie sous des couches de bruit et de bavardages, la forme avec laquelle ils pourraient tous laisser le monde les caresser, et faire frémir le peuplier. Parler le même langage vivant.
Il dit cet homme qu’il est un jardinier qui sèmerait du hasard, pour récolter des apparitions.
J’aime à croire que nous le sommes tous, que c’est là la part irréductible d’humanité qui nous habite, envers et contre tout. J’aime à croire qu’en tout cas, quoiqu’on fasse, on cherche la lame vibrante du monde. Et la juste caresse.

Haut de page