Jean-Eudes Bellanger a habité un an au hameau, et a contribué par sa "plume électronique" au quotidien du lieu. Beaucoup de très bons souvenirs...
CHRONIQUES DE LA BROUSSE EN CHANTIER par Jeb
En guise de note liminaire... 22/01/06
Quelqu'un,
Maddie 30/01/06
Le nouvel arrivant 22/02/06
La
face cachée de la Brousse 24/02/06
La vie - 1 13/03/06
La révolte 19/03/06
Vive l’apéritif ! Vive l’errance ! 01/04/06
United
colors of la Brousse 08/04/06
Le chantier des chroniques
de la Brousse
15/05/06
Un
p’tit chapeau ?/04/06
Merci
les oiseaux… ?/04/06
Anachronique
?/04/06
La
vie –2 18/05/06
Nouveau
Monde 1/06/06
Cuisine – hommage trop cuit au Lièvre de
Mars 3/06/06
La nostalgie du Peuple Dressé 5/06/06
" Dis, ce serait bien d'écrire des chroniques sur la Brousse.
- Des chroniques ?
- Ben ouais, y a déjà les photos et les dessins d'LN, ce serait
chouette de raconter des histoires, les petits trucs qui se passent ici. Parler
des gens qui passent, des spectacles...
- Ouais...les Chroniques du Hameau Noir, ha aha...
- Non! Les Chroniques de la Brousse enchantée..."
Avant d'être enchantée, la Brousse est en chantier.
Elle ne cesse jamais de l'être. Ni d'être enchantée d'ailleurs
; que le petit ange de la source, l'ombre du tilleul ou le crépuscule
sur la falaise viennent me démentir s'il en est autrement. Et c'est heureux.
Pourquoi? Parce que pour exister l'utopie doit se faire, et non pas être
déjà faite. Alors ici on n'arrête jamais de rénover,
d'embellir, de mettre de l'enduit, de faire le plancher, de construire la maison.
C'est sans doute pour cela qu'il règne entre ces quelques baraques une
humeur permanente de création, où trouvent refuge le labeur comme
la paresse.
Voici donc un lieu où l'idée de reconstruction de la vie quotidienne
a pris corps, avec des murs et des toits ; où l'envie de vivre autrement
a pris racines, avec de la terre, du compost et de l'huile de coude. Et elle
se dresse fièrement, cette idée, sur ses treize années
d'existence comme un exemple des fruits de la détermination et de l'engagement.
Cette chronique n'a pas l'intention de commencer quoique ce soit, chers lecteurs,
car le Hameau de la Brousse est déjà un bien bel arbre. Une bien
belle demeure, dans laquelle sont nées, vivent et passent bien assez
d'êtres et de choses pour qu'elle ait besoin d'être rafraîchie.
Cette chronique est, si l'on peut dire, comme un bourgeon, une nouvelle pousse,
une autre branche. Une nouvelle porte qu'on aura mise dans une cloison tombée
joyeusement par les coups du sort. J'avais à peine plus de dix ans quand
Michel et LN ont commencé de retaper ce rocher. Et il est grand le travail
abattu, il est beau le résultat, il mérite qu'on y mette l'épaule,
il promet qu'on peut y jouer un rôle. Ne serait-ce qu'un petit.
J'aspire seulement, parce que j'ai la chance de vivre au hameau, à raconter
des histoires, ces moments du quotidien qui font ce qu'est la Brousse en secret
: parler de ce village invisible et mouvant que ceux qui sont ici et ceux qui
y passent construisent, jusque bien au delà des murs. Depuis trois mois
que je suis ici j'ai vu passer un peu du monde, un peu de l'époque, un
peu de ce mouchoir de poche dans lequel se tissent les histoires de chacun.
On y passe et on en repart. Pour une fois je suis celui qui reste, et j'aimerais
en profiter pour offrir une frêle demeure aux souvenirs.
Cette demeure est pour vous et vos visites, qui venez découvrir ou redécouvrir
la Brousse. Le partage des histoires est aussi ce qui fait les fondations de
nouveaux liens. Il est un endroit qui s'enracine dans le temps, où toutes
les histoires se retrouvent, et où la mémoire de chacun peut aller
puiser pour se sentir partout chez soi.
Premier coup de pioche, premier coup de plume, premier salut, et bienvenue à
la Brousse, en chantier.
Quelqu'un,
Maddie 30/01/06
En novembre est passée à la Brousse une jeune fille nommée
Maddie. Une woofeuse, from Vermont USA. Le wwoof, c'est une association de fermes
biologiques, mais on en reparlera. Maddie était woofeuse, donc. Et tricoteuse.
J'ai toujours été fasciné par le tricot. Quand j'étais
gosse, ça faisait partie des icônes dominicales de la maison, comme
le Stabat Mater de la matinée, ou le père qui coince devant Sport
Dimanche... Ma mère, jusqu'à ce que j'atteigne l'âge de
refuser gentiment, me tricotait des pulls, des gants, ou des cardigans pour
petit garçon bien élevé. J'ai ensuite été
convaincu, comme bon nombre d'adolescents, que le tricot, c'était ringard.
J'ai fui les petits gilets et les moufles pour des Converses trouées
et me suis mis à la guitare électrique, remisant ainsi dans une
autre époque les matins lyriques de mon enfance.
Mais comme bon nombre d'adolescents, j'en suis revenu, et aujourd'hui je reconnais
que Pergolese est un indispensable antidote à la morosité de fin
de semaine. Et le tricot recommença de m'émerveiller lorsque mes
tendances baba cool se révélèrent au grand jour. Désormais,
je suis un bab pas cool, et je déteste les pulls trop larges, même
si j'en porte - eh oui, on peut encore subir sa garde robe... - mais le tricot
n'en reste pas moins à mes yeux l'un des gestes les plus étonnants
de l'humanité.
Elle avait un talent fou, Maddie. Elle tricotait des bonnets, qand elle est
arrivée. Parce que en France, it's sssoooo cold. Mais attention, des
bonnets de bon goût, des chapeaux complexes avec des motifs à la
signification mystérieuse, aux formes édifiantes, et de couleurs
choisies. Je ne sais pas combien elle en a fait, mais chaque fois que je la
voyais, au repas en général, elle tricotait un bonnet, elle agitait
ses aiguilles dans des mouvements occultes, impénétrables, et
que seul l'embrouillamini de laine semblait savoir comprendre. Plusieurs fois
on l'a vue défaire son travail, sans ciller, et recommencer au début.
Moi, ça me consternait. Je n'ai jamais voulu lui faire le coup de Pénélope,
mais quand même. Elle avait des attitudes étranges. Elle tricotait
en même temps que tout le reste : en coupant des pommes, en lisant, en
discutant avec les autres woofeurs, en mettant du bois dans le poêle,
en jouant aux dés. A la Brousse, il est une institution internationale
qui s'appelle le yatsee. Quand Maddie gagnait, elle criait SOMEBODY LOVES ME
!!!!! et levait brusquement ses aiguilles dans un geste qui bien sûr,
éloignait ses voisins de table, effrayés. Et quand elle perdait
elle s'exclamait, MERDI ! (Prononcez mewdi, c'est merde, avec l'accent du Vermont,
probablement...) en tapant des poings sur la table. Puis elle reprenait son
tricot. Avec l'accent du Vermont.
Un jour que je me balladais dans Angoulême, avec Maddie et les autres
woofeuses, Vicky et Fanny, je tombe, dans une rue pietonne, sur un panneau d'interdiction
de stationner sur lequel était peint merdi, d'une écriture appliquée.
Bien entendu je m'en étonne, et j'appelle Maddie du Vermont. En voyant
le panneau elle ouvre de grands yeux et de grands bras et s'écrie WOW
!!! SOMEBODY LOVES ME !!!! Et s'en retourne à la laine multicolore qu'elle
avait achetée pour se faire des gants pour les pieds.
Je suis resté pantois. Une fois de plus, la vie me démontrait
qu'il est inutile de vouloir comprendre certaines choses.
Maddie voyagea beaucoup, puis s'en retourna à Montpellier USA. Elle continua
le woof et continua le wool. Pour Maddie, entre le woof et le wool, c'est bonnet
blanc et blanc bonnet.
PS: si vous arrivez à lire l'accent du Vermont, voici l'adresse du journal
en ligne de Maddie : www.livejournal.com/users/maddieg
Le
nouvel arrivant 22/02/06
Ces dernières semaines, il est passé un tas de monde à
la Brousse. Il y a eu deux résidences de compagnies de théâtre,
le Bocage et les Vernisseurs. Il y a eu le retour d'Anita du Maroc, et le passage
de Madonna, son amie australienne. Il y a eu la sesshin Zen de l'association
Do Shin. Beaucoup de choses à raconter. Beaucoup de changements. Les
personnes arrivent en amenant leur décor, les uns avec un cabaret de
croquettes, les autres simplement des doutes et des sauts de cabri ; les uns
amènent tout un dojo de sagesse pendant que d'autres, avec leur bite
et leur couteau, offrent des boîtes en bois qui renferment un des plus
vieux spectacle du monde. A chaque fois le hameau tout entier s'habille différemment,
module son rythme, agence ses humeurs et se fond dans les rencontres. On dirait
que le soleil se lève chaque jour sur un nouveau village.
Et pourtant, toutes ces dernières semaines, bien que ça n'arrêtait
pas d'arriver et de partir, il en manquait toujours un à l'appel. Un
nouvel arrivant au hameau dont on a presque passé l'attente sous silence.
Mais de fait, tout le monde l'attend. C'est toute la Brousse qui n'a fait que
l'attendre secrètement ces dernières semaines. Ca en agace certains,
des fois. Moi, j'avais cru comprendre qu'il ne devait pas arriver de sitôt.
Mais en fait, il est en retard. On lui met son couvert tous les jours, mais
il n'est pas là quand sonne la cloche. On ouvre la porte tout les matins
en espérant l'apercevoir qui se chamaille avec Sly ou Perdita, mais les
chiens dorment calmement, ou viennent au bonjour habituel. Quand on sort se
balader on se prend chaque fois à espérer le croiser au détour
d'un sentier, mais non. .
Alors bon, j'ai aussi cru comprendre qu'à chaque fois qu'il vient passer
quelques semaines ici, il est vague sur la date de son arrivée. Il paraît
que c'est un routard, qu'il se balade, d'une terre à l'autre, sans arrêt.
Il a ses habitudes, ses chemins de prédilections. Et puis Michel et LN,
Isabelle aussi, m'ont dit plusieurs fois que c'était un grand artiste,
et que son passage faisait toujours l'honneur de la table et des convives. Pardi,
à la Brousse on ne se lasse pas de voir passer des poètes un peu
illuminés. Mais celui-ci est hors du commun, même qu'il est connu
dans le monde entier. Un génie, un de ceux dont on a vu au moins une
oeuvre quelque part, et dont on s'est sûrement émerveillé.
Depuis que je sais qu'il doit venir, moi aussi je ne fais que l'attendre.
Ha ! Sacré printemps, va...
La face cachée de la Brousse 24/02/06
Hameau de la Brousse, jeudi soir dernier, vers minuit, la veille du départ
de Stephe pour la Roumanie.
Quatre durs à cuire sont toujours debout, LN, l'auteur, Stephe, et Aeros,
nouvelle wwoofeuse.
Sur la table, les cartes, et le vin.
Le jeu, Espresso. Un jeu préhistorique. La Dordogne, c'est bien.
" Prêts? ... ESPRESSO!!!.. ... ... Aaaaah!!!!... ... ... Nooooon
y a pas droit ! Hiiiii! (...) mff... ... mfff...Ouffpoutchicr...AAAAAAAHHHHH............
chpoum... chpoum... chpoum... chpoum (bruit des cartes sur la table:)...Hiuuiiiii
! LN ! TON CINQ TON CINQ !!!!!.... AAH... Chpoum... chpoum.... oui... oui!...
OUIIII.... OOOUUUUIIIIIIINOOOOOOONNNCEST PAS POSSIBLE (...) AAAAAHHHHHH....chpoum...uf
... uf... (...)....oohhh j'peux rien faire....HA HA HA C'EST L'BORDEL....chpoum...
chpoum... chpoum... AH NON ARREEEEEETE...oh...ah...... mirrrrd..... grr...grrrr...
.... LN TU TRICHEEEUUUU AHHAAHAAAAAAHAA...STEPHE POUSSE TOI..(...) (...)..AH....
... un deux un deux...OUI NON!!!! .... chpoum... chpoum... chpoum chpoumchpoumpoumchpoumc
AAAAHHHHHHH!! FINITO!!!! OUI!!!! FINITOOOOOOO!!!!! (...)"
Le but du jeu, se débarasser de ses cartes en les mélangeant à
celles des autres de façon rationnelle. Tout le monde joue ensemble.
La Brousse, c'est un lieu collectif.
Les extraits cités plus haut et ci-après ne se veulent pas exhaustifs,
compte tenu de la nature difficilement transcriptible des phénomènes
observés. On essaiera donc d'imaginer que l'ensemble est dit par chacun
des individus en présence, et ce de manière équitable,
sans ordre de parole.
" - ... Dire qu'y a des gens qui jouent jamais !!!
- Oooh Ouais...
- Y préfèrent la télé...
- Oh la la...
- Ha ha ha !!!!
- Moi j'préfère jouer.
- Ouais moi aussi...
- Prêts ?... ESPRESSO!!!! "
LN et l'auteur, entre deux parties, frôlent, disent-ils, "l'insuffisance
respiratoire". Cela ne les empêche pas de deviser, entre deux autres
parties sur les vertus thérapeutiques du rire. Aeros elle même,
malgré la barrière du langage, semble affectée par les
sursauts de son diaphragme.
Commentaire :
" - Il faudrait nous enregistrer quand on joue à ce truc.
- Oh ouais!!!
- Ou en faire une annonce sur le répondeur!!
- Haha aha haha!!!
- " bonjour ARGLHAAAAAAAA!! vous êtes bien sur OUCH!!! le répondeur
du hameau OUIIIIIIINONNNNNNNNNN!!! AAAAAAA!!! de la brousse...
-Hahah hahaha HAHa haha!!!
- "...veuillez laissez vos onomatopées, merci!"
- HA hahhaah HAHA!!!"
Je laisserai au lecteur le soin de réviser son regard, lors d'une de
ses prochaines visites à la Brousse. On n'est jamais sûr de rien.
Ouga!
La vie - 1 13/03/06
C’est la vie, je suis comme je suis, c’est la vie, c’est comme
ça que les jours passent et se remplissent. C’est la pleine lune,
et l’hiver se fait des cheveux blancs. Cali est revenue sur quatre pattes,
de mafé et de gingembre ce soir, et de Gainsbourg qui fait son reggae.
Ali Farka Touré est mort. Milosevic aussi.
J’ai visité l’Anjou avec des inconnus, j’ai suivi la
piste du futur marié. Lydia et Aeros s’en vont demain. Il faut
que j’écrive une chronique sur le wwoof. Mon livre n’avance
pas, mais il ne recule pas non plus… Il voyage lui aussi. Vous connaissez
le vin de l’Aubance ?
Un type a creusé dans le tuffeau une salle sphérique Pi de 3,14
m de diamètre. L’acoustique est telle qu’on peut se chuchoter
à soi-même des mots doux à l’oreille. C’est
bien tout seul aussi, l’amour.
Arrête pas ton Char, Michel, « l’ordre du jour ou le désordre
de la nuit ? », réunion au sommet de la colline. Mes bananes sont
pourries. Il y a quatre nouveaux silos à compost dans le jardin. Amadou,
il a la classe bavarde et c’est un grand cuisinier, Isabelle en a marre
d’être enfermée, mais ça sent le printemps. LN suspend
des éléphants. Il pleut toujours… il ne pleut plus. Il y
a des punaises qui me réveillent la nuit, il y a des oiseaux heureux
le matin, c’est la vie, ça résonne.
Je travaille dans un bureau et ça me dépasse. Les joies de l’informatique
: un fichier inconnu n’a pas été trouvé. Je travaille
dans un bureau et je peux aller débroussailler si j’ai les nerfs.
Les ronces aussi ça me dépasse.
Je viens de voir quelques abeilles, quelques bourdons. On va bientôt mettre
les plantes dehors. Bientôt il fera chaud.
L’autre jour un rouge-gorge est rentré chez moi. Les chiens m’attendent
à la sortie de mon travail, pour faire une balade. Je m’écroule
dans le pré. Le ciel est rayé. Je joue de la flûte pour
aérer ma chambre.
J’ouvre la fenêtre pour écouter la musique.
La révolte 19/03/06
Il paraît qu’à la campagne on est loin de tout.
Alors c’est de loin qu’à la radio j’entends que les
rues se remplissent, que les villes de France une nouvelle fois connaissent
les foules et la colère, que le CPE a dressé le peuple contre
lui, que ça chauffe, que c’est la chienlit.
Il paraît que quand on ne manifeste pas c’est parce qu’on
ne se sent pas concerné. Et que la France est terre de révolution.
A la Brousse, il n’y a pas eu de manifestation sur la place. Pourtant,
à la table de ce soir j’ai encore eu l’impression d’être
au cœur de mon époque. LN, Michel, Bastian, Chris, Pitou, une fille,
du vin, et ma révolte : les jeunes descendent dans la rue pour contester
une loi, les étudiants, les forces vives, les mêmes que toujours,
ils fédèrent, ils embrasent, ils réchauffent les désirs
de vivre, ils allument un jeu oublié qui parle de changer le monde.
C’est galvaudé tout ça, hein…
Moi je veux être pour une fois cet effronté qui peut chanter pendant
que Rome brûle, elle brûle tout le temps, dit le poète, alors
merde, les jeunes, on va pas se tromper de cible hein, et se battre contre une
loi alors qu’il faut se battre pour une vision du monde, la précarité
n’a pas d’autre visage aujourd’hui que celui de la stabilité
qui semble être le mot d’ordre, stabilité de la fin de la
joie, de lendemain de fête, CDI de statu quo, et dans cinq ans on remet
ça, et les mêmes qui sont dans la rue aujourd’hui diront
à leurs gamins de se tenir à carreau.
Ca fait soupirer.
J’aime toujours croire que ce coup-ci, ce sera la bonne, comme aujourd’hui,
ou quand les tours sont tombées, ou quand on tomba des nues entre les
deux tours, ou quand à chaque fois que l’ordre semble basculer
on dirait qu’enfn les humains vont s’arrêter et prendre le
temps de repenser leur foyer. J’aime toujours croire que le jeu ne s’arrêtera
plus, et que la jeunesse enfin matera les derniers avatars d’un vieux
monde dont chacun sait la déroute.
Il y a certains jours des airs de flamenco qui portent en eux des soulèvements.
Des vieux souvenirs de chants rouges. Déserter les villes, retrouver
le sol, reprendre l’art aux mains de la culture, arracher la pauvreté
aux mains de la misère, et libérer l'époque de son mal
au ventre...
Pourquoi on se bat ? Pour préserver un mensonge, ou pour quelque chose
de neuf ?
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons...
Vive l’apéritif ! Vive l’errance ! 01/04/06
« Monsieur le Président sident de la République publique,
Je tenais à vous assurer par la présente sente que les echos coco
de votre précieuse allocution cution, ont été entendus
tendus jusqu’ici qu’ici, à la brousse brousse. »
Et à part les echos qui résonnent dans la langue de bois de Marianne
comme dans une souche creuse, on n’entend ici que l’hiver qui se
termine, l’explosion printanière, les chants du poète.
« Soyez sûrs, camarades politiciens, que nous, nous ne voulons pas
consommer plus. Inutile de vous fatiguer. Si la croissance vous donne à
vous mal aux genoux, à ceux qui la demandent à grands cris, elle
restera en travers de la gorge. »
Ici, on prend l’apéritif au soleil en se demandant s’il y
a seulement une chance pour que la petite raison républicaine étriquée
laisse un jour sa place à une raisonnable prise de conscience globale…
Mais bon, vous savez bien, nous les jeunes, ça nous passera.
C’est normal après tout, dans un monde inversé, que tout
aille à l’envers. Que les soulèvements ne soulèvent
pas grand chose d’autre que des errements et des bavardages…
Je refuse de partager les inquiétudes qui, en ce moment, sont disent-ils
celles de la jeunesse. Ce ne sont pas les miennes. Ni celles de ceux qui souffrent
réellement de la précarité du monde. Les porte-paroles
font de la politique, parce qu’il paraît qu’aujourd’hui,
la révolution, c’est révolu. Alors on est né le cul
dans la soie, et il faudrait en plus exiger broderies et dentelles sur nos draps.
Demander plus qu’il n’en faut, et à côté des
vrais enjeux, voilà ce qui finit toujours par étouffer le jeu
de la révolte.
Plus d’air de flamenco. Plus de fièvre. La même rengaine
économique.
Proposition : désertez, camarades.
Car comme dirait l’autre, nous avons tout à gagner là où
tout est agencé pour nous perdre.
Vive l’apéritif. Vive l’errance.
United colors of la Brousse 08/04/06
Fiche technique du navire.
Nom : La Brousse
Description : lieu de vie collective et spontanée, dont l’organisation
est spontanée et collective.
Antennes actives : Association Ciel ouvert, locataire participatif d’action
artistique et culturelle avec un petit cul. Association Près de la source,
locataires participatives d’action d’agrisculpture potagère
avec un grand pré.
Capitaines : Michel et LN, créateurs en jours pairs, réacteurs
en jours impairs.
Equipage : Simone, Isabelle, Jean-Eudes, Anne, Marie, matelots non qualifiés
en contrat de bel avenir. A durée à déterminer.
Passagers : Phi Lee, David, Alimatou, Brigitte, couleurs complémentaires.
Signes particuliers : à l’entrée du navire s’arrête
la protection de l’armée américaine.
Pavillon : United Colors of la Brousse, société multinationale
libre, succursale du WWOOF et des praticiens de l’utopie.
Productions : pissenlit, courges géantes, gâteaux francophones,
spectacles, sculpture sur paysage, labeur volontaire sans frontières,
jeux préhistoriques, rencontres polychromes, discussions et heures indues,
répertoire des nouveaux fans de Johnny Cash, paperasses, archivages et
déménagements, coups de blues et coups de marteau, amitiés
en tout genres, et stages de sagesse infinie du compost.
Soutenu par : le Centre Universel de l’Huile de Coude, le Syndicat
Trangénérationnel de la Volonté de Vivre, et l’Organe
conscient du Parti Imaginaire.
Participe de la réhabilitation de l’écoute de France Culture
dans la ville de Soyaux.
Le
chantier des chroniques de la Brousse 15/05/06
Cette chronique se veut une sorte d’introduction aux quelques textes que
vous aurez à lire à la suite de celle-ci, que je suis parvenu
à réunir au prix de fouilles archéologico-informatiques
que je viens par la présente révéler au grand jour. Personne
ici n’en a eu vent. Ils ont juste remarqué que la lumière
restait tardivement visible dans la chambre bleue, et se disaient pour eux-mêmes,
tiens, Jean-Eudes est peut-être en train d’écrire une chronique.
Que nenni.
Des chroniques, j’en ai écrit plein depuis la dernière en
date du 8 avril, susnommée United colors of la Brousse – remerciez
Isabelle pour le titre. Oui, plein. Peut-être des dizaines, si j’en
crois mes découvertes. Enfin presque. Car il est terrible de devoir avouer
qu’à force de dire, « je vous raconterai tout ça dans
une prochaine chronique », je n’ai écrit que des prochaines.
Les prochaines ont ce désastreux caractère de débuts abandonnés
que la littérature n’accepte que dans les journaux posthumes. Prenez
Kafka, par exemple. Il a su, avec brio, se gardez le meilleur pour la fin, mourir
dans la misère, mais, dans un sursaut de panache, divulguer au monde
son formidable journal, qui n’est fait, vous l’aurez compris, que
de « prochains » romans.
Comme je n’ai pas l’intention de passer l’arme à gauche
avant quelque révolution, c’est à dire avant longtemps,
je me suis efforcé de dénicher dans le désordre de mon
ordinateur tout ce que j’avais pu pondre de prochaines chroniques depuis
le début de cet exercice. Et de vous les servir désormais, en
guise de coulisses, du chantier des chroniques de la Brousse.
Par le menu, donc, nous aurons une savoureuse démonstration des difficultés
locales à se tenir à jour, et l’humeur générale
de notre village mouvementé, depuis les premières heures printanières.
N’allez pas croire ami lecteur, en vous fiant à la douteuse chronologie
de ces pages, que je sois paresseux. Bien au contraire, c’est avec patience
et perséverance que je travaillais à la reconquête de ces
écrits, et aujourd’hui, sachez le bien, je me repose.
Cuisine
– hommage trop cuit au Lièvre de Mars 3/06/06
Ce soir, pour la première fois depuis longtemps, j’ai mangé
des haricots verts. Avec du thon, des oignons, des olives et un peu de tomate.
Avec ça, me direz-vous, on fait peut-être une bonne plâtrée
de célibataire, mais certainement pas une chronique. Voyez-vous ça.
Et si j’ajoutais que ce soir, pour la première fois depuis longtemps,
j’ai mangé des haricots verts EN BOITE. Là, oui, on s’approche
peut-être d’un moment littéraire intéressant.
C’est en tout cas la réflexion que je me suit faite, en m’acharnant
sur ma boîte de conserve Carrefour avec un ouvre-boîte d’un
autre temps, qui, s’il est nommé et pensé pour l’usage,
ne fait preuve d’efficacité que pour essayer avec zèle de
gâcher le dîner. Ne croyez donc pas les us et coutumes qui ont fait
de ces inventions l’orgueil des Trente Glorieuses. En frottant du métal
sur du métal, on fait juste des objets contondants excessivement dangereux.
Alors l’idée qu’on persiste à mettre de la nourriture
dans ces machins n’en finit pas de me consterner. Parfois le monde s’évertue
à être incongru, et on n’y peut pas grand chose.
Je me suis donc rappelé, pendant ces instants de solitude que sans concession
mon garde-manger me pourvoyait, d’un autre moment littéraire intéressant,
de ceux dont, en tant qu’écrivain, j’aurais voulu être
l’auteur. Je me suis rappelé cette épiphanie de LLdM ( lisez
le Lièvre de Mars, et à l’occasion, allez voir son Terrier
sur le web…) qui décrivait, désespéré, son
salé en lentilles (en boîte, sans doute) en train d’agoniser
par dessus la chaleur stupide de plaques électriques. Comme l’ouvre-boîte
fait la gloire de l’ère industrielle, les plaques électriques
sont ce qui permet aux propriétaires, dans les villes universitaires,
de dire que les cuisines de leurs studios sont « équipées
». Entendons-nous bien : ils se sont fait une règle de considérer
cela comme un critère de choix pour les jeunes étudiants qui,
étourdis par leur nouvelle liberté bachelière, ne se rendent
pas compte, lors de la signature du bail, qu’à cause de ces plaques
électriques ils passeront d’innombrables mauvaises soirées,
ne mangeront pas grand chose d’autre que du pain, du fromage et les sandwichs
du libanais du coin, et rateront probablement leur DEUG. Je sais de quoi je
parle. Et notre Lièvre l’avait si bien dit : « il est clair
que si je tenait l’ordure, le nazi des papilles, l’immonde culinarophobe
qui m’a pondu cette merde de plaque électrique, putain ! je me
te lui foutrait sa sale gueule de vérole amerloque – parce qu’un
type comme ça ne peut être qu’américain, ou alors
c’est à douter de tout – sur son infamie, invention demeurée,
et je te lui sussurerais dans son petit conduit de bête bornée,
tu sens là, hein, tu sens, c’est le réduit, eh oui ! le
réduit ! et pourtant ça colle ! »
Hommage trop cuit, donc, car depuis longtemps l’univers inepte des cuisines
étudiantes est devenu pour moi un souvenir sans saveur, pour le coup.
Je n’y perd pas mes heures de nostalgie. Je comprends simplement, ce soir,
avec mes haricots verts, pourquoi la cuisine de la Brousse ne connaît
jamais une boîte de conserve. Ah, vous pouvez chercher, il n’y en
a pas. Je crois que j’avais oublié à quel point ces objets
trop humains sont ingrats et inaptes aux allégresses culinaires. Et ici,
croyez-moi, c’est l’allégresse culinaire qu’on oublie
parfois de saluer. Mesdames, merci.